Une histoire d’eau, 

 

En 1967, à l’époque ou nous n’en étions pas encore à battre des records individuels sauf peut-être en montagne ou de grands alpinistes avaient déjà vaincus des sommets de plus de 8000 m, j’en étais encore à terminer la construction d’un canoë bi-place jaune et blanc en fibre de verre destiné à défendre les couleurs de la France aux championnats du monde de canoë kayak de slalom. Mais tout nouvellement mariés, en attendant la compétition, les vacances approchant, ma jeune femme et moi-même rêvions d’aventures en étrennant  notre joli canoë.

 

Après mûre réflexion la décision fût prise en commun de passer nos vacances sur une île déserte. Mais ou ? et laquelle ? .....

 

Je ne me souviens plus très bien mais, les charters devaient être rares ou les cours de la bourse en baisse ? Il nous fallait donc orienter nos investigations non loin de France et, cartes déployées, la côte Dalmate, de nos jours la Croatie, possédait et possède encore au large de ses côtes, plusieurs îles inhabitées disséminées de Sibenik à Zadar, qui devaient satisfaire notre rêve en nous permettant de vivre durant une quinzaine, et sans naufrage évidemment, ce que nous pensions être les heures captivantes vécues par Robinson Crusoë !

 

Par un beau matin d’été nous partîmes donc de Sibenik un petit pincement au coeur, dans notre embarcation conçue pour le slalom en eau vive, en droite ligne, à la pagaie simple et à la sueur de notre front. Nous nous sommes assez vite retrouvés loin du monde habité et face au large de la mer adriatique le long des îles les plus éloignées de la côte.

 

Le matériel de survie entassé au centre du canoë se composait de sacs étanches de sacs de couchage, de matériel de cuisine, allumettes, bidons d’eau douce, sel, huile, boussole, crème solaire etc.... Quant à la nourriture, par manque de place, elle se composait du strict minimum : un sac de riz avec quelques pommes de terre et des fruits achetés dans les villages côtiers. Nous avions décidé  de vivre de notre pêche et j’avais à cette occasion, bricolé un fusil de pèche sous-marine qui devait faire l’affaire.

 

Le beau temps aidant, le début de notre aventure fût un enchantement.

Le plaisir de l’effort physique, la beauté sauvage de cette côte déchiquetée, une incroyable sensation d’isolement suffisaient à notre bonheur. Il y avaient bien quelques mulots qui, le soir, inquiétèrent ma femme lorsque nous nous enfilâmes dans nos sacs de couchage à la belle étoile, mais dans l’ensemble, rien ne vint troubler notre sommeil hormis le bruissement berceur du flux et reflux des petites vagues à quelques mètres de nous.

 

Dès le premier jour d’une semaine passée à caboter dans la plus grande insouciance, la pêche porta ses fruits, il y avait du poisson, et chaque soir nos repas se composaient de petites vieilles pour la soupe ou de sarres délicieusement parfumés que nous faisions griller avec soin le tout accompagné de pommes de terre cuitent à l’eau de mer.

 

Ce n’est qu’au début de la 2ème semaine que l’eau vint à manquer, nous en avions pourtant emporté plus de 30 litres réparties dans 2 bidons par mesure de sécurité. Mais dit-on, quand il fait beau et chaud, on a soif, et quand on a soif on boit. La jeunesse est insouciante, sans inquiétude, même si elle ne sait pas ou se trouve la première fontaine. Ce fût notre cas.

 

Nous nous aperçûmes de notre légèreté un peu tard. <<Pas de problèmes nous nous baignerons plus souvent disions-nous ! >>  en décidant toutefois de nous rapprocher de la côte après les bains.

 

Nous nagions lentement à une bonne centaine de mètres du rivage. Ce fut en nous rapprochant de celui-ci que nous vîmes à peu de distance une petite maison ruinée et oh ! miracle, une écriture délavée sur le mur en ruine. 

Ce n’était pas facile à lire, mais après bien des hésitations, c’est le mot kvoda qui apparut à nos yeux. De plus, sous ce mot il y en avait un autre, en partie effacé, ne laissant apparaître que la lettre m, puis enfin une flèche bien visible cette fois, nous permettant d’espérer qu’il y avait de la ‘’kvoda’’ dans sa direction.

 

Il y avait au départ un sentier mal tracé circulant entre de gros rochers nous laissant espérer que nous étions dans la bonne direction mais, très vite, plus de traces, plus aucune indication, la nature à l’état vierge.

 

Après un bon ¼ d’heure de recherche, découragés, assoiffés, nous continuâmes encore et encore, tant et tant qu’à un moment donné il nous sembla voir une flaque d’eau mais ce n’était qu’un mirage. Par bonheur l’île étant petite, la frénésie d’une soif intense aidant, c’est après être passés mainte et mainte fois au mêmes endroits que nous finîmes par découvrir un sombre orifice dans l’un des rochers. Poussés par un fol espoir j’y jetais le premier caillou à ma portée.

 

Après un temps qui nous paru très long, anxieux, à l’écoute tendue contre l’orifice nous entendîmes  enfin le bruit sourd, mais joyeux à nos oreilles, du contact de la pierre touchant la surface de l’eau, le petit ‘’plouf '' sauveur !...

 

Nous n’avons pas mis longtemps à rejoindre notre camping et à revenir à notre supposée source armés de gamelles et de tous les cordages en notre possession tels que bosse du canoë, cordage du fusil de pêche sous-marine... 

Je suis ingénieur et admirateur de NEWTON. Mes 3 fils a qui j’ai enseigné, il est vrai avec difficulté, sa fameuse loi ne le nierons pas. Pas besoin d’un chronomètre ou d’une règle pour calculer que 3 secondes ça fait un environ 20 m. Pas besoin d’altimètre pour s’inquiéter de l’eau saumâtre car l’île n’était pas haute à l’endroit ou nous nous trouvions.

 

J’avais confiance dans mon calcul, mais j’étais inquiet quant aux longueurs de corde dont nous disposions, qui, une fois nouées bout à bout, ne faisaient guère plus de 20 m.

Le trou n’était pas grand et il fallut prendre la plus petite de nos 2 gamelles en la tournant en tous sens avant de trouver la bonne position et de pouvoir la faire passer dans le trou trop petit pour elle. Puis, il fallut se rendre à l’évidence, après une descente qui parue interminable, l’avant bras à l’intérieur de l’orifice il ne se passait rien.

 

 Allions-nous échouer si près du but ? Par bonheur j’avais de bons vieux lacets à mes espadrilles et c’est avec cette rallonge inespérée et une nouvelle descente à bout de bras et du bout des doigts que nous sentîmes une modification dans la tension et pûmes faire basculer la gamelle qui prit soudainement du poids. A la nouvelle tension dans la corde, il était certain que nous allions ramener quelque chose.

Remonter de 20 m une gamelle pleine d’eau accrochée de bric et de broc en priant que tous les nœuds soient solides, la faire passer dans un trou plus petit qu’elle sans trop la renverser ne fut pas une mince affaire. Mais quand la soif est grande, que l’eau est fraîche, n’est pas saumâtre mais limpide, claire, et se répand vivifiante dans notre corps, comment dirais-je... c’est de l’eau bénite.

 

Et il fallut remplir les bidons pour la semaine en cours....

 

Plus de 30 ans déjà... Avant qu’il ne soit trop tard nous voulions faire un petit pèlerinage dans notre île, mais nous n’y retournerons pas. Entre temps la vie est passée.

 

Des amis qui font du cabotage sur un voilier habitable dans cette partie de la méditerranée nous ont dits qu’il n’y a plus de poissons, ils ne savent pas pourquoi.
Pour notre part, nous qui aimons la bonne eau, la vraie, celle des torrents corses, nous avons notre petite idée sur la question et préférons vivre avec nos souvenirs d’antan.